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Par papy 1900. Je me souviens encore comme si c’était hier de cette Place de la Libération à Nyons, que les anciens appelaient place du Champ-de-Mars. Quand j’étais gamin dans les années d’après-guerre, elle était déjà le cœur du centre-ville de Nyons, cette capitale discrète de la Drôme provençale au pied des Baronnies. Entre l’avenue Paul-Laurens et la rue des Déportés, non loin du quartier historique et du Pont Roman, la place miroite sous le ciel bleu de Provence.
Autrefois, raconte-t-on, l’endroit servait au jeu de paume. En 1824, la municipalité acheta ce terrain pour en faire une vraie place. On y érigea en 1871 une grande fontaine en pierres de Chomérac. Enfant, je passais des heures à écouter l’eau tomber dans le bassin, assis sur un banc à l’ombre des platanes centenaires. Ces arbres apportent une ombre bienvenue l’été et abritent les terrasses des cafés. Le chant des cigales et l’odeur de l’huile d’olive AOP de Nyons enveloppent tout.
Le jeudi matin, la place s’anime : le marché de Nyons déborde sur la place des Arcades et jusque devant la mairie. On y trouve olives noires, tapenade, fromages, vinsobres et côtes-du-rhône, bref toutes les saveurs méditerranéennes d’un marché provençal. Touristes et habitants flânent, les enfants courent autour de la fontaine, les cafés et terrasses sont pris d’assaut. J’aime regarder ce va-et-vient, car il relie les générations.
À force d’y traîner mes souliers, j’ai appris chaque recoin. Sur le côté nord, des bancs publics permettent de contempler le panorama sur les collines et les montagnes des Baronnies. On aperçoit les terres d’oliviers qui ondulent sous le mistral. Au sud, les façades anciennes révèlent l’architecture du quartier historique. La lumière de la fin d’après-midi donne une teinte dorée aux pierres. Les enfants jouent à cache-cache autour des platanes et des bancs, pendant que les anciens commentent les résultats du dernier match sous les arcades. Cette ambiance provençale, mêlée au chant des cigales, fait que l’on se sent chez soi.
Mais cette place est aussi chargée de mémoire. Le nom de rue des Déportés rappelle les rafles de janvier 1944 qui ont touché des familles de réfugiés et de résistants. En août 1944, les maquisards du Nyonsais et des Baronnies libérèrent un temps la ville. Aujourd’hui encore, les cérémonies du 8 mai et du 14 Juillet se tiennent place de la Libération. Les anciens combattants et les enfants des écoles s’y rassemblent pour honorer la Résistance, la Seconde Guerre mondiale et la mémoire des victimes. On y dépose des gerbes au monument aux morts et on chante la Marseillaise.
À l’ombre de la fontaine, les noms des rues racontent l’histoire locale : la rue des Déportés et la rue du Colonel Barillon rappellent la Résistance ; la rue de la République mène vers le quartier des lavoirs où nos grand-mères bavardaient en frottant le linge. En descendant vers le Pont Roman, on passe par la place des Arcades et l’on aperçoit au loin la tour Randonne perchée sur son rocher. Ce paysage relie la place au patrimoine médiéval de Nyons.
L’été, des animations estivales transforment la place en scène en plein air. Concerts, brocantes et fête votive attirent les habitants. La fête de l’olivier y rassemble la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier et les producteurs, qui défilent depuis l’avenue Paul-Laurens. On y déguste l’huile nouvelle, les olives noires et la tapenade sous les platanes. Les brocantes et marchés de produits locaux créent une atmosphère conviviale. J’y ai souvent acheté des cartes postales d’antan et des photos anciennes qui montrent comment la place a évolué.
Je me rappelle encore les récits de ma grand-mère. Elle racontait l’achat du Champ-de-Mars par le conseil municipal en 1824, la construction de la fontaine monumentale et la plantation des arbres. Elle évoquait la Seconde Guerre mondiale, les colonnes allemandes qui traversaient la Drôme et les maquisards qui se cachaient dans les collines. Pendant quelques jours, la ville fut libérée, puis il fallut attendre la capitulation pour retrouver la paix. Ces histoires se transmettent encore aux plus jeunes lorsqu’on s’assoit sur un banc de la place.
Aujourd’hui, la place reste un point de départ pour les promenades. On peut flâner dans les ruelles, suivre une visite guidée vers la tour Randonne, partir en balade patrimoniale vers la chapelle Notre-Dame de Bon-Secours ou simplement s’asseoir en terrasse avec un verre de côtes-du-rhône. Les touristes y trouvent un panorama sur les collines et un aperçu de l’ambiance provençale. Les enfants profitent des jeux installés à proximité, les habitants refont le monde et les cigales chantent.
Quand je regarde la vidéo de la place en 1900, on y voit des charrettes, des dames en jupe longue et des enfants en blouse qui traversent le Champ-de-Mars. La fontaine est déjà là. Elle rappelle que, malgré le passage du temps, l’âme de la place est restée la même. Pour moi, cette Place de la Libération n’est pas seulement un lieu géographique : c’est un livre ouvert sur l’histoire locale, un carrefour où la mémoire des anciens se mêle à la convivialité provençale. Sur cette place, on peut savourer une glace, écouter un concert, discuter sous les arcades ou refaire le monde devant un pastis. Voilà pourquoi j’y reviens sans cesse, pour écouter le murmure de la fontaine, sentir l’odeur des olives et goûter à l’ombre des platanes. C’est un espace où l’on croise un voisin, un touriste, un souvenir et où chaque pierre porte un mot de notre mémoire collective.