Tu me dis quand, je te dis où — CLIQUE ICI pour un conseil local → Tell me when, I’ll tell you where — CLICK HERE for local advice →
Ah mes enfants, approchez-vous et écoutez le vieux papy que je suis. Quand je ferme les yeux, je revois la rue des Petits Forts qui serpente au cœur de notre vieux quartier des Forts. Ce quartier fut aménagé à la fin du XIIIᵉ siècle autour de deux rues, la petite à l’est et la grande à l’ouest, et il a conservé son allure médiévale avec ses ruelles en escalier et ses maisons serrées contre les remparts.
Au-dessus, deux tours du XIIIᵉ siècle dominent la crête : la tour Randonne, devenue chapelle au XIXᵉ siècle, et la tour Dauphine. La lumière de Nyons, adoucie par le microclimat qui fait de la ville un « Petit Nice », baignait cette rue pavée où la vie battait son plein en 1900.
Je me souviens du chemin qui mène à la tour Randonne. À l’origine simple tour défensive, elle fut construite vers 1280 par Randonne de Montauban et, bien plus tard, transformée en chapelle par notre curé, qui fit ajouter une pyramide d’arcades surmontée d’une Vierge. De là-haut, on apercevait le pont roman qui franchit l’Eygues d’une seule arche de quarante-trois mètres et s’élève à plus de dix-huit mètres. Commencé en 1340 et inauguré en 1409, ce pont fut longtemps la seule route carrossable ; en 1900, nos charrettes l’empruntaient encore.
Dans la rue des Petits Forts, des vestiges de remparts rappelaient la forteresse qui protégeait la ville, et au détour d’un escalier, on devinait encore l’entrée d’une ancienne échoppe creusée dans la roche.
La vie quotidienne s’articulait autour du marché de la place des Arcades, créé au XIVᵉ siècle et bordé d’arcades. On y vendait les olives de Nyons, la fameuse variété tanche, résistante au froid. Nos oliviers, plantés depuis l’Antiquité, avaient fait de l’oléiculture l’activité dominante au XVIIᵉ siècle. Les fruits ridés, appelés « robe de moine », se cueillaient à la main entre novembre et janvier et se mettaient en saumure ou se salaient pour enlever l’amertume.
Au pied du pont roman, les vieux moulins des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles broyaient les olives, les pressaient et laissaient reposer la pâte pour que l’huile se sépare de l’eau, tandis qu’une savonnerie voisine transformait cette huile en savon. Les habitants goûtaient l’huile nouvelle sur des morceaux de pain, et les enfants léchaient les scourtins imprégnés d’huile en riant.
Les scènes de la rue étaient simples : les mères portant leurs paniers, les enfants courant derrière la charrette du boulanger et le maréchal-ferrant martelant son fer. Parfois, on voyait passer un troupeau de chèvres qui montait vers les collines ; parfois, on s’arrêtait pour laisser filer un mulet chargé de sacs d’olives.
Le soir, les vieux jouaient à la pétanque et parlaient des récoltes en profitant du climat doux que nous offraient les montagnes. Sans voitures ni électricité, nos journées étaient rythmées par les saisons et les clochers.
Le quartier conservait aussi ses défenses. La rue des Forts s’ouvrait sur la ville par deux portes : le portail Corcosson, qui passe sous le château féodal, et le portail Gérenton, aujourd’hui disparu. Au XVIᵉ siècle, un château fut construit au sud du rocher ; on en voit encore l’entrée formée de tours rondes et quelques murs le long de la rue des Grands Forts. Cette forteresse fut ensuite convertie en presbytère puis vendue.
Les anciens racontaient que le pont roman était gardé par une tour de péage et qu’on payait quelques sous pour passer. Derrière ces histoires se cachait la fierté d’un village qui avait traversé les siècles, des guerres de Religion jusqu’aux révolutions.
À l’époque où je vous parle, nous ignorions que de grands gels décimeraient plus tard nos oliviers et que les producteurs s’uniraient pour obtenir l’Appellation d’Origine Contrôlée en 1994. Nous vivions simplement, protégés par le soleil et le vent, avec le parfum de l’huile d’olive et de la lavande.
Quand je remonte aujourd’hui la rue des Petits Forts, j’entends encore le bruit des sabots sur les pavés et je vois les silhouettes de ceux qui ont vécu là avant nous.
C’est un petit bout de Nyons qui traverse les siècles, et que votre vieux papy est heureux de partager avec vous.