Mes conseils sans frais “à l’ancienne” pour : dormir à Nyons, que faire, où manger ? Contacte-moi, toujours des bons plans ! contact@vivreanyons.fr
Quand je parle du Nyons d’après la Seconde Guerre mondiale, j’aime bien prévenir : c’est une époque paradoxale. La population augmente, les familles reviennent, les naissances repartent et pourtant, les commerces commencent doucement à disparaître. On est alors dans une ville qui se reconstruit, qui respire à nouveau, mais dont le paysage commercial se transforme.
Avant, c’était simple : chaque rue avait ses devantures, ses enseignes peintes, son épicier, son artisan. Dans le centre historique de Nyons, on vivait à pied. Tout était à portée de pas : l’alimentation, les vêtements, les services, les cafés, les lieux de sociabilité. La ville fonctionnait comme un village commerçant, dense, vivant, humain.
Mais le monde change. Les habitudes aussi. L’après-guerre apporte le progrès, mais aussi la standardisation. Même si la ville grossit, le tissu commercial nyonsais commence à se clairsemer. Rien de brutal au début. Une vitrine qui ferme “temporairement”. Une enseigne qui ne rouvre pas après l’hiver. Puis une autre. Et un jour, on se rend compte que ce qui faisait battre le cœur du centre ancien s’est mis à ralentir.
À Nyons, le jeudi, c’était sacré. Pas une expression : une réalité sociale et économique. Jeudi, jour de marché à Nyons, c’était le grand rendez-vous hebdomadaire. Le marché structurait la semaine entière, et la foire mensuelle renforçait encore l’importance de ce jour-là.
Dès le matin, la Place des Arcades et les rues voisines s’animaient. Les paysans arrivaient de loin, parfois à pied, parfois en charrette, parfois en bus. Ils venaient des Baronnies, des villages perchés, chargés de paniers, de sacs, de produits à vendre ou à troquer. Nyons jouait pleinement son rôle de carrefour rural.
On appelait ça la biasse : le casse-croûte du jour, mangé sous les arcades, sur un banc, ou debout au café. Pain, fromage, parfois un morceau de lard. Les cafés affichaient complet. Le marchandage se faisait en patois, sans chichis. On discutait ferme, mais toujours avec respect. La parole donnée avait du poids.
Pour beaucoup de commerçants, la recette du jeudi faisait l’essentiel de la semaine. Si le jeudi était bon, on respirait. Sinon on serrait la ceinture. C’était une économie fragile, mais profondément ancrée dans la vie quotidienne en Drôme provençale.
Contrairement à aujourd’hui, le tourisme d’été était quasi inexistant. Nyons n’était pas encore une destination de vacances. On n’y venait pas pour “consommer” un séjour, mais pour vivre au rythme local.
En revanche, l’hiver attirait déjà quelques villégiateurs. Séduits par le climat doux, l’air sec, le soleil. On parlait déjà du “Petit Nice”, ce surnom qui collait à la peau de la ville. Ces visiteurs venaient chercher le calme, la lumière, la tranquillité.
Ils se fondaient dans la ville. Ils fréquentaient les mêmes commerces, les mêmes bancs, les mêmes discussions. Rien à voir avec les flux touristiques d’aujourd’hui. C’était discret, presque intime.
Au début des années 1930, les derniers cocons de vers à soie sont vendus. C’est la fin définitive de la sériciculture locale, pourtant pilier de l’économie nyonsaise pendant des générations. Avec elle disparaît tout un savoir-faire, toute une organisation rurale, des gestes transmis de parents à enfants.
Ce monde rural, pourtant, continue longtemps à irriguer la ville. Les campagnes font vivre le marché, les cafés, les commerces. Nyons reste un point de rencontre, un lieu d’échanges entre ville et villages, entre producteurs et habitants du centre.
Sur la Place Carnot, on trouvait une concentration impressionnante de métiers. Une vraie ruche, un condensé de la vie commerçante à Nyons autrefois.
Coiffeurs (Buffaven, Girard), épiciers (Fraychet, Mourier-Colombet), pâtissier Paraud, vanier Meffre, cordonnier Turc, modiste Mademoiselle Denise, boucher Bayet, pharmacien Ruiz, laiterie Smet, graines Floret… Sans oublier les banquiers, le notaire Maître Samuel, les avoués Pichon et Crosasso, et les médecins Georgesco, Bernard et le docteur Bourdongle.
Chaque enseigne avait son rôle. On ne venait pas seulement acheter. On venait prendre des nouvelles, demander conseil, échanger, exister. C’était la sociabilité d’autrefois à Nyons, simple et essentielle.
Sous les arcades médiévales de Nyons, les étalages débordaient. L’épicier Fraychet suspendait lièvres et perdreaux bien en vue. Rien ne devait se perdre. Les invendus étaient transformés en conserves maison, mises en bocaux à l’arrière des boutiques.
Cette logique racontait à elle seule l’histoire locale de Nyons : une économie de bon sens, de débrouille, parfois de survie, mais toujours de respect du produit.
Vers 1900, Élie Pinet reprend l’emplacement de l’ancien Café du Commerce. Le lieu change de fonction, mais pas d’âme. Le jeudi, les paysans s’y retrouvent, mangent leur biasse, discutent affaires.
Au Café Allian, on partage les restes, on joue au billard, on fréquente le cercle ancien. Le chauffage est au bois. Les sonnettes relient les pièces. Tout est organisé, pensé, réglé.
Les prix donnent le vertige aujourd’hui, mais racontent une époque :
– café ou bock : 25 centimes
– vermouth : 2,50 francs le litre
– absinthe : 2,50 francs le demi-litre
La librairie Pinet devient un pilier du patrimoine urbain nyonsais. Sa clientèle va jusqu’à 80 km à la ronde, notamment pour les écoles. À l’arrière-boutique, on fabrique des cahiers cousus, on imprime cartes et faire-part.
La logistique repose sur la gare PLM et sur le char à cheval de Poujoulat. Pendant la Première Guerre mondiale, puis à partir de 1931, Augusta Pinet tient la librairie. Une femme solide, respectée, indispensable à la vie locale.
Aujourd’hui, la librairie en est à sa troisième génération. Le monde a changé. Les commerces aussi. Mais quand on traverse le cœur ancien de Nyons, quand on marche sous les arcades, la mémoire populaire de Nyons est toujours là.
Les témoignages et souvenirs nyonsais circulent encore. Et tant qu’il restera quelqu’un pour les raconter, Nyons restera ce qu’elle a toujours été :
un village à taille humaine, profondément commerçant, profondément humain.